Primož Jakopin
Pierre Strinati
Le découvreur de la vie souterraine
en 1988, par Vladimir Posypai*
Qui êtes-vous, Pierre Strinati ?
Je suis né à Genève le 31 octobre 1928. J’ai effectué mes études primaires et secondaires dans deux écoles privées situées dans le Canton de Genève : Tout d’abord l’Ecole Privat, puis l’Ecole Internationale. A la fin de ces études j’ai obtenu en 1948 le diplôme intitulé « Maturité Fédérale ». La même année j’ai commencé à étudier à l’Université de Genève en suivant des cours dans trois facultés : Sciences économiques et sociales, Droit et Sciences. Ces études ont abouti à l’obtention du « Diplôme de Hautes Etudes Commerciales » en 1952 et de la « Licence ès Sciences Naturelles » en 1960. Plus tard, j’ai entrepris la rédaction d’une thèse intitulée « Faune cavernicole de la Suisse » et j’ai obtenu en 1965 le titre de Docteur de l’Université de Toulouse. Cette université, grâce à la proximité du Laboratoire souterrain de Moulis, était à l’époque le premier centre mondial dans le domaine de la biospéléologie.
Tout en travaillant dans des entreprises commerciales créées par mon père, j’ai ensuite effectué des recherches zoologiques dans les grottes du monde entier. J’ai visité une centaine de pays, j’ai exploré des grottes dans 70 d’entre eux, j’ai visité plus de 1000 grottes et j’ai découvert 300 nouvelles espèces animales, dont une soixantaine m’ont été dédiées (genres ou espèces).
Speleomantes strinatii, salamandre sans poumons des grottes de la Méditerranée occidentale, photo Benny Trapp, Wikimedia Commons
Que pouvez-vous dire de vos parents ?
Mon père Joseph Strinati est né en 1883 en Italie, dans la localité de Bardi (Province de Parme). Il a émigré en Suisse, s’est établi à Genève et a obtenu la nationalité suisse. Il est décédé en 1952. Ma mère Jeanne, nom de jeune fille Cocquio, est née à Genève en 1904 et a toujours habité en Suisse. Elle est décédée en 2001.
Les grands-parents ont-ils aussi eu une influence sur vous ?
J’ai connu ma grand-mère maternelle, Leonora Libera Cocquio. Elle est née en 1883 et est décédée en 1973. Elle habitait la maison familiale et, dans mon enfance, elle s’occupait de moi quand mes parents étaient en voyage. Mes autres grands-parents sont décédés avant ma naissance.
Pierre, jeune homme, avec sa maman près de l'entrée d'une grotte, un dessin de Vladimir Posypai, 2022,
basé sur une photographie de la collection Pierre Strinati
Quand avez-vous découvert votre côté le plus aventureux ? Était-ce de la spéléologie, de la biologie, des voyages ?
Depuis mon enfance j’ai été attiré par la découverte géographique et la science, notamment l’astronomie et la zoologie. Je lisais beaucoup de livres d’aventure, d’explorations et également de science-fiction. J’ai été aussi beaucoup passionné par les journaux de bandes dessinées publiant de tels récits. Mon intérêt était surtout attiré par l’exploration des astres du système solaire. J’étais, à l’époque, moins passionné par le monde souterrain, car à part « Voyage au centre de la Terre » de Jules Verne et les récits de Norbert Casteret, aucun ouvrage n’existait en langue française à ce sujet, à part naturellement les ouvrages de Martel, qui n’étaient pas accessibles à un jeune homme de mon âge. Quand j’ai entrepris mes études universitaires, j’ai renoncé à l’astronomie au profit des sciences naturelles, car j’étais bon mais pas très doué pour les mathématiques.
Votre thèse de doctorat « Faune cavernicole de la Suisse » en 1966 est d'une ampleur remarquable pour la recherche étroitement spécialisée d'aujourd'hui. Comment s'est passé le travail de la thèse ?
J’ai exploré ma première grotte en 1949. Dès cette première visite, j’ai récolté des invertébrés et des chauves-souris et je n’ai jamais cessé de le faire. Après quelques années, j’avais fait des récoltes dans des dizaines de grottes suisses et j’avais publié quelques travaux préliminaires au sujet de mes récoltes. D’autre part j’avais déjà découvert de nouvelles espèces publiées par divers spécialistes. Ayant obtenu ma licence ès Science Naturelles en 1960, mon ami Villy Aellen, futur directeur du Muséum de Genève, me poussa à poursuivre mes recherches en vue d’obtenir un Doctorat. Au point de vue professionnel, je n’en avais pas besoin puisque j’avais une activité commerciale. Mais le fait d’obtenir un doctorat m’obligeait à travailler plus sérieusement que ne le ferait un simple amateur et pouvait m’aider dans mes recherches ultérieures qui se déroulèrent sur tous les continents.
Modèle de Pseudoblothrus strinatii au Muséum d'histoire naturelle à Genève, photo Rama, Wikimedia Commons
Quelle est la première grotte que vous avez visitée ? Quand et à quelle occasion ?
La première grotte que j’ai visitée est la Grotte de Mégevette, située en France, dans le département de la Haute-Savoie. Elle n’est qu’à une vingtaine de kilomètres de Genève. Lors des cours d’été de l’Ecole Internationale, qui étaient une préparation aux examens pour l’obtention de la maturité fédérale, un professeur de géographie nous parla des grottes et de la Société Suisse de Spéléologie. Plusieurs d’entre-nous furent passionnés par ces propos et comme ce professeur, Albert Carozzi, était membre de cette société, nous fûmes plusieurs, une fois l’examen passé, à vouloir être initiés à la pratique spéléologique. La première sortie d’initiation eu donc lieu à la Grotte de Mégevette ; c’était le 20 mars 1949.
Grotte des Demoiselles, France, 2 Novembre 1971, photo Pierre Strinati
Qu'est-ce qui vous a attiré vers la biospéléologie ?
C’est la rencontre entre l’exploration et mon très grand intérêt pour la biologie. Dans mon cas, c’est surtout la zoologie, mais j’ai également étudié la flore des grottes.
La concurrence en biologie est de nos jours féroce et impitoyable, pour une nouvelle espèce, les gens seraient prêts à faire presque tout, sans parler de la famille animale. Et vos réalisations dans ce domaine sont plus que remarquables. Pouvez-vous en dire plus ?
Lors de mes recherches dans le monde entier, j’ai découvert plus de 300 taxa (genres ou espèces) nouveaux et une soixantaine m’ont été dédiés. Anciennement, il était plus facile de découvrir de nouvelles espèces animales, car en dehors de l’Europe et des Etats Unis, de grandes régions n’avaient pas été explorées. Actuellement, des grottes ont été explorées biologiquement dans le monde entier mais, grâce à de nouvelles méthodes d’étude on découvre de nouvelles espèces cryptiques proches d’espèces déjà connues.
Sur la route dans la région d'Iporanga, Brésil en 1968, avec Claude Chassan et Michel Le Bret, photo Pierre Strinati
Le jour de votre 90e anniversaire, vous avez effectué votre 1626e visite souterraine. Quelle forme a votre carnet de visites de grottes, et quels ont été les sentiments à cette occasion ?
Pour chaque exploration de grotte, je remplis une fiche de visite. Ensuite, les données « températures, liste de la faune récoltée, etc… » sont reprises dans un carnet. C’est avec une certaine émotion que j’ai visité la Grotte aux Fées de Vallorbe le jour de mon 90e anniversaire, grotte que j’ai déjà visitée à de nombreuses reprises. La première fois c’était en 1950.
Vous avez participé au dernier congrès mondial de spéléo cette année et vous y avez été honoré en tant que seul participant ayant également participé au premier congrès en 1953. Quelles étaient les différences ?
(souriant) La principale différence était le code vestimentaire. En 1953, nous étions tous avec des cravates, des chemises blanches, des costumes et des chaussures noires alors que maintenant, surtout les Américains, étaient en T-shirts, jeans et baskets.
Pierre Strinati photographié lors du 18ème congrès de l'Union Internationale de spéléologie, Le Bourget-du-Lac (France), Juillet 2022, photo Patrick Deriaz. La photo projetée sur écran montre Pierre Strinati et ses camarades réunis à l'occasion du 1er congrès international, qui s'est tenu à Paris en 1953. De gauche à droite : Monique Chollet, Pierre Strinati, André H. Grobet, Charles-Henri Roth, Maurice Audétat (photo Hallery, collection Pierre Strinati). Un clic sur la photo la montre en pleine résolution.
Vous avez visité de nombreuses grottes avec Villy Aellen. Comment l'avez-vous rencontré et que pouvez-vous dire de lui ?
C'est dans un train à destination de Vallorbe que j'ai rencontré Villy Aellen, à l'époque assistant à l'Institut de zoologie de l'Université de Neuchâtel, pour la première fois. C'etait le 28 janvier 1950 et nous avions décidé de faire connaissance à l'occasion d'une excursion à la Grotte aux Fées de Vallorbe, la grotte précédemment mentionnée.
Organisant à cette époque avec quelques camarades de l'Université de Genève un voyage d'étude pluridisciplinaire au Maroc, je voulais demander à Villy s'il était intéressé à se joindre, pour profiter de son expérience dans les domaines de la zoologie et de la spéléologie. Villy fut tout de suite enthousiasmé et l'expédition se déroula en sa compagnie au cours d'août et septembre 1950.
J'ai pu pleinement profiter de ses connaissances et de son expérience. Il n'était mon aîné que de deux ans, mais il avait acquis une grande connaissance des recherches sur le terrain à l'occasion d'un séjour d'un an au Cameroun (1946 - 1947) dans des conditions incomparables à ceux d'aujourd'hui : voyage vers le Cameroun en bateau, déplacements sur place à pied ou à cheval, caravanes de porteurs, ravitaillement par la chasse, réceptions par les chefs de villages …
Réalisée un peu comme un voyage initiatique dans l'esprit romantique du film Rendez-vous de juillet, notre expédition au Maroc fut un succès. Des recherches ethnographiques furent effectuées, des grottes explorées, de nombreux animaux cavernicoles souvent nouveaux pour la science récoltés et étudiés. Née au Maroc, la collaboration scientifique entre Villy et moi-même se poursuivit pendant de très nombreuses années et notre amitié subsista jusqu'à son décès prématuré. Il est décédé de la peste moderne, qu'il a eu pendant des années, inaperçue, jusqu'à ce qu'il soit trop tard.
Villy Aellen dans Ruli-Puli Loch, Valais, Suisse, 8 Décembre 1957, photo Pierre Strinati
Avec Villy Aellen vous avez également fait un Voyage spéléologique autour du monde, en 1977. Comment cette initiative est-elle née et avez-vous été satisfait du cours et du succès ?
Un récit définitif du voyage se trouve dans le livre du même titre, publié par la Société suisse de spéléologie en 2009. Je suis convaincu que vous pouvez en extraire un bref mais intéressant résumé ici.
Voyage spéléologique autour du monde, en bref, par l'auteur
Selon Claude Chabert, membre reconnu du Spéléo-Club de Paris, ce voyage était sans précédent, et apparaissait alors comme une aurore, un éclair, une ouverture vers l'ailleurs (Chabert, la préface du livre) dans le monde de la spéléo.
La collaboration scientifique entre Aellen et Strinati, concernant l'exploration des grottes et la récolte de la faune souterraine, se déroula principalement en Suisse et en Europe occidentale. Mais l'espoir d'importantes découvertes les attira vers des voyages de reconnaissance plus lointains : au Gabon et au Congo (1957), en Tunisie (1967), au Sri Lanka (1970) et au Kenya (1975). En 1976, ils ont noté qu'il y a très peu de donnés sur la faune cavernicole de la Nouvelle Calédonie, une vaste île, riche en calcaire. Le voyage devait avoir lieu prochainement, au printemps de 1977, et car Aellen ne pouvait s'absenter de son poste de directeur du Muséum d'histoire naturelle de Genève plus d'un mois, c'était la durée du voyage. Comme l'expédition concernait l'autre bout du monde, et nécessiterait la traversée de plusieurs autres zones karstiques intéressantes, l'idée de voyage spéléologique autour du monde était venue tout à fait naturellement, d'elle-même.
Ils ont partis de Genève le 21 mars et après des escales à Zurich, Boston, Chicago et Louisville, ils sont arrivés à Cave City, à proximité de la plus longue grotte du monde, Mammoth Cave dans l'État du Kentucky. Ils ont été reçus par James Quinlan, hydrogéologue de la grotte. Après une "History Tour" obligatoire de Mammoth Cave, son assistant, George Wood, les a emmenés le lendemain en excursion dans deux grottes non touristiques, Gray's Water Cave et Hensley Cave. Les deux grottes sont remarquables, la première par sa richesse faunistique, et la seconde aussi par le spectaculaire jeu de lumière à son entrée. Ce jour-là, ils récoltèrent un abondant matériel zoologique. Le lendemain matin, le 24 mars ils ont visité Onyx Cave, une petite grotte amenagée, avant de partir pour Tahiti, en passant par Louisville, Memphis et Los Angeles.
Moorea, l'île aux artistes, vue depuis la côte tahitienne, 1977, photo Pierre Strinati
En route vers la destination principale du voyage, la Nouvelle-Calédonie, Strinati et Aellen ont choisi les escales permettant de faire quelques découvertes supplémentaires dans le domaine de la faune cavernicole: Etats-Unis, Îles Fidji et Philippines. Mais il y avait aussi d'autres escales, nécessaires pour changer d'avion sur de longues distances, comme de la Californie à Fidji. Ici il y avait deux possibilités et pour les Européens la magie de Tahiti fut certainement plus forte que celle de Hawaï, d'autant plus qu'il y a aussi une grotte visitée par le peintre Gauguin. En général, Tahiti n'est pas si riche en grottes de lave que le sont les îles Canaries, Hawaï, Samoa ou l'île Maurice.
L'après-midi du 25 mars, le premier jour a Tahiti, ils ont visité les Grottes de Maraa, situées 25 kilomètres de Papeete. C'est une grotte, occupée par un grand lac souterrain d'eau douce, où Paul Gauguin et sa femme Teha'amana se baignaient. Selon la description de Gauguin, le lac devrait être grand - il lui a fallu une heure pour nager de l'autre côté. Une nage assez lente car la grotte ne fait que 50 mètres de long. Strinati et Aellen n'avaient pas d'entourage féminin à impressionner et ils ont donc sauté la traversée du lac. Mais ils ont découvert une autre cavité avec une entrée cachée par une végétation abondante et une petite cascade, qu'ils ont nommée Maraa II.
La deuxième journée à Tahiti à été consacrée au classique tour de l'île, avec une touche zoologique : faire connaissance avec les milieux naturels de l'île, récolter les petits reptiles et étudier la faune du sol. Le troisième jour était touristique, ils ont vérifié si Pao-Pao, ou la baie de Cook sur l'île voisine de Moorea (vol de sept minutes en avion Twin Otter), est vraiment « la plus belle de Polynésie », et ils gravirent le Belvedere, la montagne sur la baie.
Le 28 mars, ils sont partis pour Nadi sur l'île de Viti-Levu, la plus grande de l'archipel des Fidji, avec une escale à Pago-Pago sur l'île de Tutuila, la plus importante des Samoa américaines. Cette escale était une très belle surprise. Au lieu d'un détestable air conditionné dans une sinistre zone de transit ils ont eu la possibilité de profiter d'une promenade dans la nature des environs de l'aéroport. Contre toute attente, l'interruption du vol a été trop courte. Ils ont pu faire quelques observations zoologiques et se remémorer les souvenirs des premiers vols dans les années 1950. Les avions étaient lents, il y avait des escales longues et fréquentes. Mais aucune sécurité n'était nécessaire et les deux zoologues ont pu se promener dans les prairies ou les forêts proches des pistes d'atterrissage. Les nombreuses publications de leurs prédécesseurs, les professeurs Paul Rémy et Bruno Condé, témoignent qu'ils ont même pu contribuer à la science zoologique lors de telles escales.
Peu après le decollage pour Fidji Strinati et Aellen franchissent la ligne de date et atterrisent à Nadi à 10 h 40, trois heures et demie après leur départ de Tahiti, pourtant pas aujourd'hui, mais déjà le lendemain.
Lors de la préparation du voyage, à partir des informations relatives aux grottes et à la faune cavernicole des îles Fidji, très peu abondantes, il était clair que la grotte de Wailotua servirait au mieux leur objectif. Wailotua Cave semblait être la plus longue (1500 m) et la plus grande des grottes de l'archipel, et également située sur l'île où ils ont débarqué, à moins de 100 km de la capitale, Suva. Le 30 mars, le lendemain, était prévu pour la visite de la grotte, comprenant des vols vers Nausori et retour (une heure chacun). Il y avait peu de temps. A Nausori Jack Chislett, spéléologue américain, les attendait. Ils sont tous partis pour la grotte, à 70 km, en voiture sur des routes assez mauvaises, dans une zone montagneuse vers le centre de l'île. En fin de matinée ils sont entrés dans la grotte, accompagnés par un guide local. C'est un réseau complexe avec plusieurs entrées et plusieurs niveaux, partiellement parcouru par un cours d'eau. Dans la première partie la grotte est fréquentée par des chauves-souris et par des oiseaux troglophiles, les salanganes. L'intérieur de la grotte est plein de concrétions brunâtres, leur beauté est amplifiée par la très forte humidité. Outre la faune des parties les plus profondes de la grotte les biospéléologues ont également collecté des échantillons de guano. Ces échantillons ont ensuite été triés dans le laboratoire du Musée de Genève, pour la présence d'invertébrés spécifiques, dont les différences sont invisibles à l'œil nu. Les pièges n'ont pas été utilisés pendant ce voyage, il n'y avait pas le temps de les ramasser après des jours voire des semaines. Le lendemain, le troisième et dernier jour sur l'île, fut consacré à l'inspection de grottes au sud de l'île, dans la région de Sigatoka, où des grottes ont été signalées. Malheureusement, les informations disponibles étaient trop vagues et malgré tous les efforts du chauffeur de taxi, ils n'ont trouvé aucune grotte.
Le 1 avril, ils se sont finalement envolés pour Nouméa sur la côte sud-ouest de la Grande Terre, l'île de pricipale de la Nouvelle-Calédonie, le but le plus important de leur voyage. Le reste de la journée, après l'arrivée à 9h 35, a été perdu à l'installation à l'hôtel et à l'organisation des excursions. Ils avaient décidé d'explorer presque toutes les grottes connues de l'île principale, qui ne compte que quelques zones calcaires, et de l'Ile des Pins, entièrement formée de calcaires coralliens récents. Ils avaient sept jours de plus à leur disposition à cet endroit du monde.
Le premier jour, ils ont visité deux grottes sur la Grande Terre, la Grotte d'Oua-Oué et la plus grande et la plus importante grotte de l'île, les Grottes d'Adio. La première grotte n'est qu'un petit puits qui mène à quelques chambres également petites. Sans l'aide du chauffeur de taxi, M. Lenfant, qui a engagé des jeunes du quartier, la grotte, située dans une zone escarpée et très boisée, 150 km au nord-ouest de Nouméa, n'aurait jamais été trouvée. Les Grottes d'Adio est un réseau vaste et complexe. Ils découvrent plusieurs entrées et décident d'explorer d'abord une galerie active, très humide et riche en faune souterraine. A la sortie ils ont voulu continuer par une galerie supérieure sèche mais le chauffeur leur a rappelé qu'ils sont à 240 km de Nouméa et qu'il est temps de rentrer. Malheureusement, la chance de mieux explorer cette grotte intéressante a été perdue. La journée s'est passée sans rien manger et après un dîner à La Foa le retour a Nouméa fut très tardif.
Villy Aellen dans la Grotte d'Oua-Oué, Nouvelle Calédonie, 1977, photo Pierre Strinati
Le deuxième jour, M. Lenfant était occupé et ils ont décidé de visiter les quatre grottes connues sur l'Ile des Pins. Mais il s'est avéré que l'Ile des Pins est un but favori de promenade dominicale pour les Nouméens et toutes les places des quelques avions reliant les deux îles étaient réservées des semaines à l'avance. C'était donc une autre journée sans grotte. Repos!
Le troisième, le quatrième et le cinquème jour ont été consacrés à la visite des Grottes de Koumac, au nord-ouest de l'île, à 370 km de Nouméa, et au retour. Il fallut un vol qui, après une escale à Mouéo, n'arriva qu'à 13h 25. A 16h ils atteignirent la grotte, la deuxième plus longue de l'île et sans doute la plus connue. Comme c'était le cas pour les Grottes d'Adio, aucun plan de la grotte n'était disponible et ils ont donc visité quelques petites cavernes semi-obscures avant de découvrir l'entrée de la grotte principale. Elle se prolongeait par une grande galerie longue qui se terminait par un siphon. Le lendemain, ils ont de nouveau visité la grotte, également pour prendre des photos et la filmer. Le lendemain matin un vol de retour a suivi, et dans l'après-midi les préparations pour la visite de l'Ile des Pins.
Le sixième jour, la visite de quatre grottes sur l'Ile des Pins était au programme: Grotte d'Ouatchia, Grotte d'Oumagne, Grotte d'Ouindéa et Grotte de la troisième. Les horaires d'avion étant ce qu'ils sont, il n'y avait que 8 heures d'action spéléo sur l'île. A l'aéroport il n'y avait qu'un véhicule, le bus de l'hôtel "Relais Kanuméra", le seul véhicule de l'île. A leur grand bonheur les gérants suisses de l'hôtel, Madame et Monsieur Perruchoud, décidèrent de mettre le bus et le chauffeur à disposition des deux spéléologues. La Grotte d'Ouatchia était riche en faune, la Grotte d'Oumagne est superbe à cause d'un tunnel rectiligne, parcouru par un ruisseau, Grotte d'Ouindéa est un vaste puits avec un lac et très belles concretions, dans la Grotte de la troisième la salle principale est entièrement noyée. Une journée mémorable.
Le septième, dernier jour a été consacré à la visite de la Grotte de Touaourou sur la côte est de la Grande Terre. La grotte est une petite cavité à environ 20 mètres de la mer. Son plafond est garni de belles concrétions et il est percé par des racines de banians.
La prochaine étape de leur voyage était l'archipel des Philippines. Pour s'y rendre ils avaient à nouveau deux choix - passer par la Nouvelle-Zélande ou l'Australie. L'escale devait être brève et seule la visite de grottes aménagées serait possible, sans propres recherches biospéléologiques. C'était un choix cornélien, car chacun de ces deux pays possède des grottes touristiques d'importance mondiale: les Waitomo Glowworm Caves et les Jenolan Caves, 40 km de longueur. Les horaires des compagnies aériennes donnaient un avantage à l'Australie.
Profitant des décalages horaires, voyageant vers l'ouest, ils ont réussi à voler de Nouméa à Sydney et à rejoindre Hampton dans les Blue Mountains en voiture de location dans la même journée, le 9 avril. Jenolan Caves est une serie complexe des grottes, dont certaines sont touristiques. La grotte Grand Arch est, avec Mas d'Azil en France et Grotta di San Giovanni en Sardaigne l'une des trois grottes au monde à servir de tunnels routiers. Ils ont également visité la grotte à pied, avec Chifley Tour, une longue randonnée effectuée en compagnie de guides.
Grottes de Jenolan, Australie, 1977, photo Pierre Strinati
Après la Nouvelle-Calédonie, les Philippines étaient la deuxième étape la plus importante de leur voyage. A l'époque dans l'archipel aux 7000 îles et deux fois moins de grottes connues (3100 en 2022) la faune cavernicole n'était pas encore bien connue. Outre plusieurs sources de la littérature, dont le livre Voyage De M. E. Simon Aux Iles Philippines (1892) d'Eugène Simon, un fait important fut la visite de reconnaissance en 1975 de Pierre Strinati. Son guide de l'époque, Rudy Lopez, avait promis d'enqêter sur les grottes de l'île de Luçon, à laquelle ce voyage était limité à cause du temps relativement court dont ils disposaient. Dans la soirée du 11 avril, ils débarquent à Manille, lieu où ils resteront pour les trois excursions quotidiennes, à l'est, au sud et au nord de la ville.
La première journée a été consacrée à la visite de Cueva Santa, une petite grotte au sud, dans le "Parc national de Quezon", au point le plus étroit de l'île. Strinati a déjà visité la grotte en 1975, avec une très bonne récolte, et ils y sont parvenus assez vite, par un sentier dans la jungle luxuriante. Après quelques heures de récolte de la faune, ils décident de gagner le sommet du massif. Ils l'ont atteint en moins d'une heure et le panorama était vraiment superbe - la vue sur les deux mers: la Mer de Chine méridionale à l'ouest et la Mer des Philippines à l'est. Ils resteraient plus longtemps mais une tempête imminente exigeait un retour. Pourtant la descente n'était pas assez rapide, les trombes d'eau qui s'abbatent sur eux rendaient le chemin glissant et dangereux. Ils ont ralenti et lorsqu'ils ont atteint la voiture, l'orage a cessé aussi vite qu'il était venu et ils sont retournés à Manille sous un beau soleil.
Le deuxième jour, ils ont visité la "Crystal cave" de Baguio, à 250 km au nord. Ils sont partis à 5h 30 et ont atteint Baguio à 11h 30. La ville est appelée "Capitale d'été" des Philippines, car elle est située à 1500 mètres d'altitude, avec un climat agréablement frais. La grotte n'était pas bien connue et il a fallu un certain temps pour la localiser. La grotte a également été une grande déception. Juste un tunnel avec des ouvertures des deux côtés, parcouru à certaines saisons par un petit ruisseau. A cause des courants d'air il n'y a rien de moins favorable à la faune cavernicole qu'une grotte rectligne à deux entrées. A la fin leur long déplacement était récompensé grâce a un événement fortuit. Des enfants de la région ont découvert au sommet d'une colline proche un "trou sans fond". Aellen et Strinati ont trouvés un couloir présentant une très forte pente. Heuresement ils disposent d'une corde et dans la partie profonde de la cavité ils ont récolté une faune intéressante. Le retour à Manille fut, encore une fois, très tardif.
Le troisième jour était aussi le dernier jour spéléo du voyage et deux grottes étaient au programme, toutes deux déjà étudiées par Eugène Simon : la grotte d'Antipolo et la grotte de San Mateo. Le premier devrait être, selon Simon, situé à 5 km au nord d'Antipolo, aujourd'hui une banlieue de Manille. La seule grotte de la région n'a été découverte que récemment, lors de la construction d'une route (aujourd'hui, elle s'appelle Mystical cave, note de l'auteur). Que ce soit la grotte de Simon ou non, la faune récoltée était intéressante et abondante. Pourtant, il ne restait pas beaucoup de temps pour la deuxième grotte. La grotte de San Mateo est située, selon Simon, à quelques kilomètres du village de Montalban, sur la rive droite d'une gorge étroite et boisée". En effet, ce n'était pas loin, seulement 35 km, mais par des routes secondaires et il a fallu une heure et demie pour y arriver. Une fois là-bas, pas une seule grotte ne les attendait, mais plusieurs réseaux différents. La grotte la plus facile à distinguer était située tout en haut d'une paroi très difficile à escalader, mais les Montalbanais leur ont signalés un phénomène remarquable. Au crépuscule d'immenses essaims de chauves-souris émergent de cette grotte. On leur a également parlé d'une grotte très importante, située sur l'autre rive du torrent. En compagnie de Rudy Lopez ils ont traversé les eaux tumultueuses en sautant de rocher en rocher. Dans la grotte, ils rencontrèrent des autochtones qui semblaient y habiter. La faune cavernicole était abondante mais ils ne pouvaient pas pénétrer plus profondément dans la grotte. Le crépuscule est toujours précoce sous les tropiques et ils se sont donc précipités pour photographier le vol des chauves-souris. Ce fut un événement extraordinaire et inoubliable (toute la gorge fait désormais partie d'une zone naturelle protégée, note de l'auteur).
Villy Aellen et Rudy Lopez traversent de nuit la rivière, Les gorges de Montalban, 1977, photo Pierre Strinati
Le voyage vers l'Europe fut assez mouvementé: fouille complète des bagages à Manille, escale à Bangkok, escale à Bombay, réparations à un moteur, escale à Athènes, escale à Zurich, arrivée à Genève après 23 heures. La température au sol était 3° en ce Samedi, le 16 avril 1977.
En bref, un formidable voyage, un dans une vie. La lire fait voler l'imagination. Immédiatement,
un grand plan vous vient à l'esprit, comme si, par exemple, le poisson doré vous demandait de choisir
cinq destinations souterraines exotiques pour votre voyage spéléo autour du monde. Quelle serait la
réponse ? L'auteur, aimant la photographie des grottes, voyagerait également vers l'ouest et n'hésiterait
pas à choisir ce qui suit :
Votre livre Guide des grottes d'Europe occidentale (avec Villy Aellen, 1975) a été réédité plusieurs fois, ainsi que ses traductions en allemand, italien, espagnol et japonais. Comment vous est venue cette idée et quels ont été les principaux défis ?
Mon ami Villy Aellen était à l'époque conseilleur scientifique auprès de l'éditeur Delachaux & Nestlé. La direction de l'entreprise lui a demandé s'il y avait un intérêt à éditer ma thèse Faune cavernicole de la Suisse. Cet éditeur ignorait que celle-ci avait déjà été publié par CNRS (Centre national de la recherche scientifique) en 1966. Un ouvrage consacré aux grottes de Suisse a alors été envisagé. Plus tard il a été étendu aux pays européens de langue française, puis a l'Europe occidentale. L'éditeur n'envisageait pas d'inclure la Yougoslavie dans l'ouvrage. C'est Villy Aellen et moi-même qui avons insisté pour qu'au moins de Slovenie, lieu de naissance de la spéléologie et de la biospéléologie, y figure.
Les éditions en langues étrangères ont été plus tard négociées directement par Delachaux & Niestlé.
Je n'ai rencontré qu'une seule personne aussi prolifique en spéléobiologie, le coléoptériste Egon Pretner de Postojna. L'avez-vous rencontré par hasard ?
J’ai très bien connu Egon Pretner. C’était un ami. La première fois que j’ai visité une grotte en sa compagnie, c’était en 1955 à la Malograjska jama (Planinska jama) où nous étions allé récolter des protées. Dans mon livre « Grottes et Paysages de l’Atlas au Taurus », la photo 43 montre Egon Pretner, malheureusement de dos en train d’essayer de capturer un protée.
Egon Pretner dans Planinska jama, d'après un dessin de Vladimir Posypai, 2022.
Pretner (1896 - 1982) a également écrit un journal de toutes ses visites de grottes, de 1933 à 1981.
Il a visité 1607 grottes différentes en Slovénie et dans les pays des Balkans occidentaux (en 3627
visites), a publié 58 articles, en slovène, serbocroate, allemand, italien et anglais, a découvert
124 nouvelles espèces, sous-espèces et genres de faune cavernicole. 38 il a publiées lui-même ;
26 portent son nom.
Quels ont été les moments les plus gratifiants et les plus difficiles de votre carrière en spéléologie ?
Entré à la Société Suisse de Spéléologie en 1949 et explorant essentiellement des grottes en Suisse et en France voisine, le goût d’aventures m’incita à des recherches plus lointaines. Avec un groupe de camarades intéressés par la spéléologie et l’ethnographie, je pris l’initiative d’organiser une expédition au Maroc. Celle-ci se déroula en août et septembre 1950. Il y eut naturellement beaucoup de visites de grottes et de récoltes de faune, mais également des enquêtes ethnographiques et des enregistrements de musique indigène. Une grotte magnifique avec un beau lac souterrain fut explorée, la Grotte de Ras el Oued. C’est un de mes plus beaux souvenirs. Elle figure en tant que photo 12 dans mon livre précédemment cité. Avec deux camarades, nous sommes retourné visiter à nouveau cette remarquable grotte en 1979.
Les châteaux de Louis II en Bavière, si beaux, d'une si sublime élégance, et le destin tragique du roi, ont aussi retenu votre attention. Quelle a été votre expérience dans l'approche du lieu du point de vue photographique ? Était-ce plus un plaisir qu'un travail acharné ou vice-versa ?
En 1961, j'avais prévu de participer au 3e Congrès international de spéléologie qui se déroulait
aux environs de Vienne. Devant me rendre en voiture dans la capitale autrichienne, j'avais décidé de
faire un détour pour visiter un curieux château situé dans le sud de l'Allemagne. Je connaissais son
existence par quelques photographies qui montraient un édifice hérissé de tours et qui me faisait
penser aux contes de fées et aux bandes dessinées de mon enfance. Je connaissais aussi son nom,
Neuschwanstein, mais je ne savais rien sur les circonstances de sa construction.
Une fois arrivé sur place à la suite d'une visite guidée, j'appris que le château était
tout récent, du 19e siècle, et qu'il avait été bâti à l'instigation du roi
Louis II de Bavière.
J'appris également que deux autres châteaux avaient été édifiés par le même souverain.
Le jour de ma visite, le temps changeant de ce mois de septembre fit apparaître deux
aspects bien distincts du château, - kitsch en plein soleil lorsque les couleurs apparaissaient, -
fantastique et mystérieux dans le brouillard et les averses. Fasciné par le côté
«art fantastique» de Neuschwanstein, il me vint vite l'idée d'entre-prendre un grand travail photographique sur les divers châteaux de Louis II.
Pour varier l'ambiance de mes images, il n'y avait qu'une possibilité, effectuer des prises de vues au cours des diverses saisons. Ce qui fût fait à l'occasion d'une dizaine de voyages et dans des conditions climatiques très variées comme le brouillard, la pluie, la neige, à la lumière d'éclairs et même au soleil, mais en utilisâeat une pellicule infrarouge.
Lorsque j'ai disposé d'un nombre assez important de photos, photographe inconnu à l'époque, je suis allé présenter mon projet d'ouvrage à la direction des éditions "Guilde du Livre". Le projet a été immédiatement accepté, mais j'ai dû effectué quelques voyages complémentaires en Bavière pour enrichir l'ouvrage.
De son côté l'éditeur a demandé à un écrivain suisse romand réputé, Jacques Marcanton, de rédiger un texte. Sous le titre de Les Châteaux Magiques de Louis II le livre a été publié en 1963.
Quelques années plus tard, le livre édité par "La Guilde du Livre" étant épuisé, un autre
éditeur, Bernard Letu a publié un album de photos sur le même sujet. Son titre est
Châteaux en Bavière. Il a été édité en 1983.
C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai effectué ces nombreux voyages en Bavière. A l'époque il n'y avait pas encore une immense foule de visiteurs.
Le château de Neuschwanstein, 1962, photo de Pierre Strinati
Vous avez beaucoup voyagé. Pouvez-vous en dire un peu plus sur cet aspect de votre vie ?
Je n’ai jamais effectué de voyage touristique. En revanche, j’ai beaucoup voyagé en Suisse
pour mon activité professionnelle. Tous mes autres voyages avaient pour but des motifs scientifiques
(zoologie, spéléologie, botanique, astronomie). Au point de vue spéléologique, j’ai exploré ou visité plus de 1000 grottes dans 70 pays. Au point de vue botanique, j’ai effectué un voyage en Algérie en 1951. Au point de vue astronomique, j’ai assisté à trois éclipses totales de soleil : En 1949 à la Grande Canarie, en 1951 au nord de l’Italie à bord d’un avion de la compagnie Swissair et en 1973 en Mauritanie. En 1965, j’ai participé à un voyage d’études organisé par « Paris Match » aux sites de la NASA. En 1971, j’ai assisté en Floride au lancement de la fusée lunaire Apollo 14. En 1998 et en 2003, j’ai plongé à bord d’un sous-marin de recherches « Atlantis Deep Explorer » dans les eaux de l’île Grand Cayman.
J'ai entendu dire que vous avez aussi voyagé une fois dans l'avion Concorde. Quand et où et quel genre d'expérience était-ce ?
J'ai vraiment effectué un vol Londres-Washington en
Concorde le 14 décembre 1976.
J'avais été chargé d'étudier la faune cavernicole de Carlsbad Caverns et d'autres grottes de l'Etat de New Mexico. J'en ai profité pour me rendre en Amérique dans cet avion supersonique. Ce fut une mémorable expérience, l'avion ayant atteint Mach 2,04 durant le vol.
Concorde, 1986, photo de Eduard Marmet, Wikimedia Commons
Quelles ont été les circonstances de votre enregistrement « Ambiance Sonore De La Forêt Africaine » en 1957 ?
Dès mes premières expéditions, j’emportais en plus des appareils photographiques,
des enregistreurs de sons. Lors de mon voyage au Gabon en 1956, j’ai eu l’occasion de réaliser
d’intéressants documents sonores, notamment des danses indigènes et des cris ou bruits d’animaux :
crapauds, chauves-souris, oiseaux, notamment l’espèce Melichneutes robustus qui se livre à
une étrange parade aérienne dont le sens demeure mystérieux. Il s’élève à 200 mètres au-dessus du
sol, puis se laisse tomber en spirales. Lors de cette chute rapide, le passage de l’air à travers
les plumes de la queue produit un bruit de sirène.
Y a-t-il un endroit dans le monde où vous aimeriez toujours revenir ?
Je retournerai volontiers au Maroc dans la région de Taza, lieu de ma première expédition outre-mer en 1950. Un tel voyage, prévu pour 2020, n’a pas pu être réalisé à cause de la pandémie.
Autoportrait de Pierre Strinati avec un modèle, Genève, années 1970
Quand avez-vous été attiré par la photographie ? Quel a été votre premier appareil photo ?
Je ne me suis intéressé que tardivement à la photographie. En 1949, c’est en vue de l’expédition prévue au Maroc que j’ai acheté un Rolleicord III. Je n’ai jamais suivi un enseignement photographique. Dans ce domaine, je suis autodidacte.
Quelles sont vos photographies de grottes que vous considérez comme les plus accomplies ?
Ce sont les photos de grottes où figurent des femmes nues. En effet, ce sont les seules photographies pour lesquelles j’allais dans les grottes avec la seule idée de faire de la photo. Pas d’exploration, pas de récoltes de faune ; uniquement des photos. Souvent j’étais accompagné par des assistants qui aidaient aux déclenchements des flashs et qui aidaient les modèles dans leur progression souterraine.
Nu dans un couloir de la grotte Saint-Martin, 13 Octobre 1980, photo Pierre Strinati
Quand vous êtes-vous intéressé à la photographie de nu ? Quelles en étaient les circonstances ?
Lorsque j’ai commencé à faire des photos de style expressionnistes de mes voitures de
collection, on ne voyait que les formes métalliques de celles-ci. Pour adoucir un peu ce monde de métal et de verre, j’ai eu l’idée de joindre à celui-ci des visages et des corps de femmes.
Quand et à quelle occasion avez-vous rencontré Serge Nazarieff ? Pouvez-vous en dire un peu plus sur lui ?
Lorsque l’éditeur Bernard Letu a envisagé de publier un livre contenant mes photos de femmes nues en grottes, il craignait que mes seules photos ne plaisent pas à tout le monde, certaines personnes n’étant pas attirées par les grottes. Connaissant Serge Nazarieff qui photographiait également des femmes nues, mais dans des décors maritimes, il a pensé préférable de publier un livre regroupant les œuvres des deux photographes. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Serge Nazarieff.
Nu sous-marin, la piscine de la maison Strinati, Cologny, années 1980, photo Pierre Strinati
Vos mérites dans le 9e art (bande dessinée) sont grands. Comment vous êtes-vous impliqué ?
Dès la parution du « Journal de
Mickey » en 1934, j’ai été fasciné par la bande dessinée. Dans mon enfance, je lisais beaucoup de
romans d’aventure et de science-fiction, mais ma préférence allait aux bandes dessinées. Il faut dire
que dans la période 1934-1940, les illustrés français que l’on recevait en Suisse publiaient en grande
partie la traduction des comics publiés aux Etats-Unis. Or, aux Etats-Unis, les comics n’étaient pas
destinés aux enfants, mais à la famille. Les histoires étaient donc plus « adultes » que les bandes
françaises. Toutes ces bandes dessinées, d’aventures, d’aviation ou de science-fiction ont eu une grande influence dans mon goût pour la science et la découverte. Collaborateur dans les années 1960 à la revue française de science-fiction nommée « Fiction », j’ai eu l’idée de publier dans le numéro de juillet 1961 un article intitulé « Bandes dessinées et science-fiction. L’âge d’or en France 1934-1940 ». Peu après la publication de cet article, la revue a reçu un très nombreux courrier de lecteurs enthousiastes réclamant la réédition de ces bandes dessinées de leur jeunesse. La revue « Fiction » servant d’intermédiaire à tous ces lecteurs nostalgiques, ce mouvement spontané donna naissance au « Club des Bandes Dessinées » et au mouvement intitulé « Bédéphilie » dont on m’attribue aujourd’hui le titre de fondateur.
Le livre Kongo de Christian Perrissin et Tom Tirabosco vous a beaucoup marqué. Pourquoi ?
Tout d’abord, Tom Tirabosco est un ami. Ensuite, « Kongo » est un texte issu d’un livre important très bien illustré par Tirabosco. Enfin, parmi les très belles illustrations, je retrouve l’ambiance des forêts du Congo et du Gabon que j’ai bien connues.
Comment était-ce de voyager en Afrique centrale à cette époque ? Aujourd'hui, un tel parcours est sans doute bien plus compliqué, pour ne pas dire dangereux ?
A l'issue de la deuxième guerre mondiale, à l'époque de mes premiers voyages en Afrique centrale, il est certain que la situation sécuritaire était bien meilleure que ce n'est le cas aujourd'hui. En revanche, les déplacements étaient beaucoup plus lents et compliqués. Vu le faible rayon d'action des avions, les trajets étaient fractionnés en de nombreuses escales. Les pannes et les accidents n'étaient malheuresemnt pas rares. Vu la relative rareté des routes carrossables, les déplacements dans les régions peu développées s'effectuaient souvent à pied, à cheval ou en empruntant lacs, fleuves ou rivières.
Un côté positif résidait dans le fait que ces régions étaient encore peu explorées, ce qui permettait de faire d'intéressantes découvertes dans différents domaines des sciences naturelles, notamment la spéléologie.
Cabriolet rouge d'avant-guerre sur une plage australe ou, pourquoi pas, du Lac Léman; dessin de Vladimir Posypai, 2022
Vous êtes également connu, à une certaine époque de votre vie, comme collectionneur de voitures de sport exclusives, comme la Mercedes-Benz 500 K « Vanvooren », 1934 ou l'Alfa Romeo 8C - 2900 (carrosserie S10 SS) de 1940. Quand avez-vous commencé et comment est-ce arrivé ?
Des l'adolescence, j'ai considéré les voitures comme des œuvres d'art, des sculptures. Or, après la deuxième guerre mondiale, de très nombreuses voitures de sport avec des carrosseries spéciales et datant de l'avant-guerre étaient en vente à des prix dérisoires.
J'ai donc pu acheter plusieurs de ces voitures qui me plaisaient esthètiquement. Mais pour ne pas collectionner des véhicules qui semblaient être sportifs sans l'être vraiment, je n'ai selectionné que des marques ayant participé à des courses renommées: 24 heures du Mans, Mille Miglia, Targa Florio.
Liste des voitures qui, il y a 50 années, appartenaient à Pierre Strinati :
Modèle sur la rouge Alfa Romeo, années 1970, photo Pierre Strinati
Qu'en est-il des affaires de cœur ? Votre vie amoureuse ? Votre vie de famille ?
Je suis resté célibataire car j’ai voulu garder mon indépendance pour mes différentes activités.
Pour terminer, trois questions un peu différentes. Quels sont vos films préférés ?
Mes films préférés sont les suivants (la liste est donnée dans l’ordre chronologique et non pas dans l’ordre de mes préférences) :
Joseph Cotten et Jennifer Jones dans le film Duel au soleil, 1946, auteur inconnu, Wikimedia Commons. Selon Strinati : A coté de la remarquable utilisation de la couleur, l'autre grand attrait du film est la grande sensualité de Jennifer Jones.
Il est difficile d'évaluer les meilleurs films. Pourriez-vous faire une courte liste des trois dans l’ordre de vos préférences ?
Quelle est votre musique préférée ?
Ma mélodie préférée s’intitule « Amapola ». C’est un vieux classique de la musique latino-américaine, qui a été adapté par Ennio Morricone et que l’on peut entendre à plusieurs reprises dans le film «Once upon a time in America».
Quelle serait votre couleur préférée et pourquoi ?
Ma couleur favorite est le vert, la couleur de la végétation et notamment celle des grandes forêts tropicales.
Forêt tropicale au Chiapas, Mexique, photo de Bere von Awstburg, Wikimedia Commons
Y a-t-il quelque chose que vous feriez différemment dans votre vie, si vous l'aviez revécue ?
Rien.
Autres versions:
*Portrait de Pierre Strinati est un dessin de Vladimir Posypai, réalisé en 2022, d'après une photo de Villy Aellen et Pierre Strinati, en accord avec l'auteur de la photo, Patrick Deriaz. Elle était prise lors du centenaire de la spéléologie française à Millau en 1988.
Evgenij Sakulin - Ženja aime la spéléologie et les voyages (en anglais), janvier 2022
Roberto Antonini, spéléologue de haute montagne (en anglais), avril 2023
Cette page et texte par Primož Jakopin.
Les photos et les dessins proviennent de sources en libre accès ou sont publiés avec le consentement
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Les travaux sur le portrait de Pierre Strinati ont débuté le 28 octobre 2021,
cette page a été initiée le 2 février 2022, dernière correction : 26 avril 2023.
Richard Forster a grandement contribué à la réalisation de ce travail, Patrick Deriaz a aidé
avec deux précieuses photos.
URL: https://www.jakopin.net/portraits/Pierre_Strinati/PS_index_fr.php
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